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Entre nouvel instrument technologique et nouvel objet juridique : les DAO (Decentralized Autonomous Organizations)

Entre nouvel instrument technologique et nouvel objet juridique : les DAO (Decentralized Autonomous Organizations)

19/06/2019
Les DAO (Decentralized Autonomous Organizations) sont une nouvelle utilisation de la technique blockchain porteuses de nombreuses promesses mais dont la qualification juridique demeure incertaine.


Tout secteur confondu, les sociétés sont aujourd’hui en compétition avec des concurrents du monde entier. En effet, la Mondialisation encourage les entreprises à rechercher une compétitivité de plus en plus forte[1]. En réponse à ce phénomène, ces entreprises n’ont de cesse d’essayer de satisfaire ce besoin implacable de performance.
En parallèle aux phénomènes économiques, le secteur informatique également progresse. De nouvelles techniques se développent comme celle de la blockchain, qui semble apparaître aujourd’hui comme un potentiel facteur de développement des entreprises.
C’est dans ce cadre qu’est née l’idée des DAO (Decentralized Autonomous Organisations : les organisations autonomes décentralisées) également appelées DAC (Decentralized Autonomous Corporations).

Les DAO sont des entités dont les règles de gouvernance sont codées sur une blockchain et mises en œuvre par des smart-contracts. Les règles de fonctionnement de l’entité sont donc établies sur un code informatique (à savoir un algorithme). Toutefois, le code à lui seul ne suffit pas au bon fonctionnement de la DAO, celle-ci nécessite également le travail de personnes physiques.

Il convient de préciser que la DAO a un fonctionnement particulier en ce qu’il est assimilable à un STO (Security Token Offering).  Le STO a des similitudes avec le ICO (Initial Coin Offering) mais se différencie également de cette dernière opération.

En effet, comme lors d’un ICO, une fois le projet de DAO établi (le plus souvent par un white paper), il est présenté sur une plateforme blockchain afin d’obtenir des investissements. Cette plateforme blockchain sert de support pour la mise en œuvre future de la blockchain ; mais c’est également sur cette plateforme que le public intéressé peut investir lors de la phase de lancement du projet. Ainsi, pendant un certain nombre de jours, les investisseurs peuvent acquérir des jetons du DAO sur la plateforme blockchain, en échange de cryptomonnaie (par exemple l’Ether ou le Bitcoin).

Cependant, dans le cadre du ICO, le jeton acquis par l’investisseur n’est qu’un moyen de paiement, ou un moyen d’obtenir le service fourni par l’entreprise établie sur la blockchain. Dans le cadre du STO, le jeton acquis par l’investisseur (appelé security token) donne droit à des droits politiques et économiques vis-à-vis de la société émettrice[2].  

Par son utilisation de la blockchain et de smart-contracts, la DAO se présente comme un nouvel instrument technique. Cependant, il est légitime de se demander si un tel outil est réellement utilisable à l’avenir ou s’il ne s’agit que d’un mirage supplémentaire dans le désert de la blockchain.

En outre, la DAO est également un nouvel objet juridique dont la qualification est difficile. Or, pour que la DAO puisse produire des effets juridiques, il lui faut une personnalité juridique.

Celle-ci peut lui être attribuée de deux façons. Il peut être considéré que la DAO n’est qu’une forme de gouvernance de société, c’est-à-dire un moyen de conduire une société. De ce fait, la DAO pourrait être assimilée à une forme juridique existante de société. La DAO étant incorporée au sein d’une société, elle bénéficierait de la personnalité morale via cette dernière.
Cependant, pour ce faire, il faut que la DAO puisse effectivement être assimilable à une forme de société existante. Si cette assimilation s’avère impossible, la seconde solution serait de créer une nouvelle forme juridique de société pour la DAO, lui permettant de bénéficier d’une personnalité morale.

En tout état de cause, au vue de ses caractéristiques, la DAO semble pouvoir être définie comme étant une société, comme le démontre le présent article. Ce qui est certain, c’est qu’il s’agit au moins d’une entreprise. En effet, le but d’une DAO est de réaliser une performance en vue de produire des bénéfices. La DAO répond donc à la définition de l’entreprise : un ensemble de moyens matériels et humains dans le but de produire des biens et/ou des services[3].
Cependant, en droit français, une entreprise ne possède pas la personnalité morale. Cette qualification ne peut donc suffire à la DAO. Une autre qualification doit donc être trouvée.

La DAO n’est-elle qu’un type de gouvernance de société ou est-elle une forme sociétaire à part entière ?

En étudiant les caractéristiques de la DAO, il apparaît que cet instrument partage des éléments communs avec les sociétés (I). Cela permettrait d’affirmer que la DAO n’est qu’un type de gouvernance, pouvant s’imbriquer dans certains types de société. Cependant, le DAO est une gouvernance fondée sur la technologie blockchain et sur les algorithmes. Or, les régimes juridiques des sociétés actuelles n’ont pas été établis en prenant en compte ces technologies. La qualification de la DAO peut donc s’avérer difficile en raison de ses caractéristiques originales fondées sur le codage informatique(II).



 
  1. La présence d’éléments communs avec les sociétés

La DAO peut être assimilée à une société en raison de la présence d’un affectio societatis (A). Cependant, elle ne pourrait correspondre à toute forme juridique de société en raison de la décentralisation de la prise de décision en son sein (B).
 
  1. Le nécessaire affectio societatis 

L’affectio societatis[4] est une locution utilisée pour désigner l’élément intentionnel indispensable à la formation du lien qui unit les personnes qui ont décidé de participer au capital d’une société. L’affectio societatis est un élément nécessaire à la formation du contrat de société dont elle est le critère d’identification.

Au sein de la DAO, le code seul ne suffit pas au bon fonctionnement de l’entité. Il faut également que les utilisateurs aient confiance les uns en les autres et puissent se mettre d’accord afin d’aboutir à un consensus lorsque cela sera requis.
L’étude de Lustig et Nardi effectuée en 2015 sur la communauté Bitcoin (fonctionnant également sur blockchain) a établi ce même constat.
Cette nécessaire adhésion et confiance des participants du projet peut être assimilée à l’affectio societatis. De plus, l’indispensable confiance des participants pour le bon fonctionnement du projet   montre bien que le code seul ne suffit pas. Les participants de la DAO ne sont pas seulement unis par un code informatique mais également par leur volonté de participer au projet.

Les membres de la DAO semblent donc disposer de l’affectio societatis, élément essentiel à l’existence d’une société. Par conséquent, la DAO peut apparaître comme un type de société.  Cependant, cette unique information ne permet pas de trancher sur sa qualification. La DAO correspond à une société : elle pourrait être tant une gouvernance applicable aux sociétés existantes qu’une forme sociétaire à part entière.
Cette question ne peut être tranchée qu’avec la recherche d’autres éléments de la DAO correspondant à ceux de sociétés existantes.


 
  1. La décentralisation de la prise de décision 

Au sein de la DAO, la prise de décision est décentralisée. Cela signifie qu’il n’existe pas un centre de pouvoir, c’est-à-dire un ensemble de personnes décidant des actions à mener au sein de l’entité.

Les DAO peuvent être considérées comme étant créées par des STO.

En effet, les jetons acquis par les investisseurs lors de la levée de fonds du STO sont un moyen de gouvernance du DAO. Les jetons du STO confèrent les mêmes droits qu’un actionnaire dans une société.

Dans le modèle de la DAO, les jetons peuvent attribuer différents droits à leur détenteur, comme le droit de toucher une part du revenu obtenu par le projet, ou le droit d’obtenir certains avantages au cours de son exploitation.
En plus de ces droits, ce sont également les détenteurs de jetons qui prennent directement les décisions sur la plateforme blockchain. Les investisseurs sont donc aussi les dirigeants de l’entreprise.
Par conséquent, il n’existe aucun centre de pouvoir tel un conseil d’administration ou un gérant unique. Dans la DAO, chaque investisseur a, en fonction du nombre de jetons qu’il détient, une part dans la gouvernance du DAO.

Dans ce cadre, la DAO peut être assimilable à la SNC (société en nom collectif) dans laquelle tous les associés sont gérants, à moins que les statuts n’en prévoient autrement.

La DAO pourrait également être assimilée à une SAS (société par actions simplifiée). La loi oblige une SAS à désigner obligatoirement un président. Toutefois,  de part la liberté contractuelle au sein des SAS, les associés fixent l’étendue des pouvoirs dont celui-ci dispose. Le rôle du président peut se limiter à représenter légalement la société, après avoir obtenu l’accord des associés.

Ainsi, il semble que la DAO puisse être un type de gouvernance d’entreprise pouvant être incorporé au sein d’une forme de société préexistante. Cette assimilation lui permettrait d’avoir la personnalité juridique et détenir un patrimoine, ou engager la société. Toutefois, certains caractères spécifiques de la DAO laissent parfois planer un doute sur l’effectivité d’une telle assimilation aux SNC et SAS.



 
  1. La présence de caractères originaux fondés le codage informatique  

La DAO est un outil particulier en raison de son utilisation de la blockchain et du codage informatique. Cette utilisation entraîne de nombreux avantages (B) mais également des caractéristiques spéciales  comme la constitution d’un capital social à partir d’un STO (A).
 
  1. La constitution du capital social à partir d’un STO

Les STO sont généralement assimilées à des introductions en bourse.  En effet, une entreprise soumet son projet sur une plateforme blockchain afin d’obtenir des financements de la part d’investisseurs intéressés. La différence entre STO et introduction en bourse classique réside dans le fait que lors du STO, la levée de fonds s’effectue via blockchain et que les investisseurs acquièrent des jetons du projet de STO et non pas des actions.

Toutefois, dans les deux cas, un financement est obtenu à une entreprise par des personnes tierces à celle-ci.

Les sociétés classiques ont recours à l’introduction en bourse afin de se développer, d’obtenir davantage de financement. Lors de l’introduction en bourse, elles disposent déjà d’un capital social puisqu’il s’agit de sociétés déjà existantes, déjà constituées.

Or, dans le cas des DAO, le capital social se forme au moment même de la levée de fonds. Les investisseurs achetant des jetons concourent à la formation du capital social de la société en cours de création. C’est ce qui explique que la prise de décision soit répartie proportionnellement entre tous les investisseurs.  En effet, en droit des sociétés, les associés apportant des biens au capital social acquièrent en contrepartie des droits sociaux (parts sociales ou actions).

C’est ce qui semble se passer ici puisque les investisseurs forment le capital social du DAO directement lors du STO, ce qui leur permet de détenir une certaine légitimité pour exercer le rôle de dirigeant.  

Cette caractéristique de la DAO fait douter de sa possible assimilation à une SNC et à une SAS. En effet, la SNC est une société de personnes qui ne peut être cotée en bourse ; tandis que les SAS sont des sociétés par actions mais ne peuvent non plus être cotées en bourse.
Il semble donc que la DAO ne puisse être qualifiée juridiquement de SNC ni de SAS à moins que le recours au STO ne soit pas assimilé à une introduction en bourse.  En effet, le STO ne semble servir ici qu’à lever des fonds. Elle ne semble pas servir à coter les actions du DAO sur un indice boursier. Le STO pourrait dans ce cas ne pas être assimilée à une introduction en bourse. Compte tenu de l’état actuel du droit et de la pratique, cette qualification du STO demeure incertaine. La nouveauté de la technique de la DAO pose certes des problèmes de qualifications juridiques mais entraîne de nombreux avantages.
 

 
  1. L’utilisation du code porteur de divers avantages 

La gouvernance par un code informatique permet de nombreux avantages.

L’article de Kalliopi N. Kypriotaki, Efpraxia D. Zamani and George M. Giaglis, «From Bitcoin to Decentralized Autonomous Corporations; Extending the Application Scope of Decentralized Peer-to-Peer Networks and Blockchains “ met en exergue les nombreux avantages que permettrait l’utilisation des DAO.

Tout d’abord, les DAO faciliteraient la création d’entreprise et permettraient aux petites structures d’avoir recours à l’aide financière d’investisseurs.
En effet, la DAO permet de réduire les barrières d’entrée à de nouveaux marchés et facilite même la création de nouveaux marchés. Cet instrument réduit l’importance des facteurs géographiques, réglementaires et politiques. En effet, seule une connexion internet, un code efficient,  et l’adhésion d’un certain nombre d’utilisateurs est nécessaire pour le bon fonctionnement de l’entreprise.

Les DAO sont également attractifs pour leur fonctionnement avantageux.
La plupart du temps, la DAO est établie sur un code open source. Cela signifie que ce dernier est accessible à tous. Il s’agit d’un avantage puisque cela renforce la transparence et la confiance que peuvent avoir les investisseurs envers le projet et limite les risques de corruption.

De plus, le code étant établi sur une blockchain, seul le consensus des investisseurs est censé pouvoir permettre sa manipulation et sa modification. 

Ensuite, tel qu’affirmé précédemment, les investisseurs détenteurs de jetons forment également la direction de la DAO. 
Par conséquent, aucun poste de direction n’a besoin d’être occupé par un tiers, ou du moins en cas de SAS, un poste peu encombrant financièrement. Ce qui a pour résultat d’économiser un montant important de salaires, qui sera utilisé dès lors par les investisseurs.

Ce développement technologique n’empêche pas l’assimilation de la DAO à une forme juridique de société telle que les SNC ou les SAS. Les associés exerceront toujours leur droit de vote, les assemblées se tiendront toujours et les bénéfices seront distribués le cas échéant. Cependant, ces démarches s’effectueront par le biais d’un algorithme.


La DAO permet une gouvernance algorithmique porteuse de nombreux avantages. Une pléthore de raisons justifierait son usage par les entreprises. En effet, l’utilisation de la blockchain combinée à celle de smart-contracts promet un fonctionnement plus rapide et plus sécurisée au sein de l’entreprise.
Il semble que cette gouvernance puisse être exercée au sein de formes juridiques existantes de sociétés (SNC, SAS). Toutefois, compte tenu des spécificités intrinsèques de la DAO, pour rendre cette nouvelle technique plus aisée, il faut la rendre manifeste. Pour ce faire, la mise en place d’un régime juridique ad hoc semble être un passage obligatoire.


Pour plus d'informations, merci de contacter Damien Concé, Docteur en droit: d.conce@rosemont.mc ou visitez notre page dédiée aux ICO/Blockchain.
 
[1] From Bitcoin to Decentralized Autonomous Corporations; Extending the Application Scope of Decentralized Peer-to-Peer Networks and Blockchains, Kalliopi N. Kypriotaki, Efpraxia D. Zamani and George M. Giaglis
[2] ICO/STO : de quoi parle-t-on ?, Maître Pierre-Yves LUCASAvocat au Barreau de Paris - Legal Consultant au cabinet BONNARD LAWSON de Dubai
[3] THIBAUT Jean- Pierre, Le diagnostic d'entreprise, Ed Société d'édition et de diffusion pour la formation, Corence, 1989, P 21.